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DIAPHANE MONOCHROME RVB 01

Pays du Coquelicot — Ecole de Bécordel-Bécourt

Ateliers à l'école de Bécordel-Bécourt 

Journal de bord par Philippe Garon, écrivain et Valentine Vermeil, photographe

Philippe Garon le 22.02.2024
Troisième atelier

Le réalisateur surréaliste Luis Bunuel est né un 22 février, il y a cent vingt-quatre ans. Son fantôme, ou son ange, ou les deux, m’accompagnent-ils lorsque je retourne par devers les élèves de Thierry, ma réjouissante ribambelle de flos? Fidèle à son habitude de s’habiller à fonction de mes visites, leur prof arbore un gilet noir du groupe de trash métal québécois Voïvod. Pendant que les enfants finissent leur récré, il me prépare un café en m’invitant à me servir du palmier. La grande classe, dans la petite classe. On parle de musique. C’est magnifiquement sucré cette pâtisserie feuilletée! Miam miam.

Thierry donne un petit coup de sifflet pour signaler aux enfants que c’est l’heure de rentrer pendant que je me dégomme les mains. On se retrouve avec plaisir trente secondes après, tout le monde paré pour encore deux belles heures de délire. Le petit exercice du « beau moment depuis la dernière fois qu’on s’est vus » marche comme sur des roulettes pour se remettre en train. Je leur présente ça comme un réchauffement avant de faire du sport. Autre métaphore, celle des deux qualités d’une bonne passe de foot pour la projection de la voix. Si on veut que le ballon se rendre à nos coéquipiers, ça prend de la force et de la précision. Alors quand on parle en public, c’est la même chose. Volume et articulation. On arrive ensuite à l’exercice que je leur avais confié lors de notre précédente rencontre; écrire en équipes de deux ou trois des phrases commençant par « nous » et qui tissent des liens entre leurs différentes idées. Thierry sort deux chapeaux, un rouge et un jaune. Les élèves m’expliquent qu’ils vont me faire découvrir ce qu’elles et ils ont écrit, mais par un jeu. Je vais piger au hasard les bouts de textes imprimés et découpés au préalable puis essayer de deviner qui en sont les autrices et auteurs. Je suis enchanté. Quelle belle idée! Alors on y va. Dans le jaune, se sont les phrases dites « normales ». Dans le rouge, les « folles ». Il semble y en avoir autant d’un côté que de l’autre. Je suis déjà content. Je tire au sort un premier bout de papier et demande une lectrice ou un lecteur volontaire. Comme à l’accoutumé, même en multipliant par deux, il me semble qu’il y a plus de mains levées que d’enfants dans la pièce. Il faut que je choisisse avec beaucoup de minutie qui va commencer alors je ne prends pas de chance; j’y vais au hasard. Et là, la magie opère. C’est réussi! Très réussi même. Oui, je m’amuse à essayer de nommer à qui revient telle ou telle phrase. Mais on finit par ne plus y accorder d’importance. Notre plaisir réside bientôt dans la possibilité de modifier certaines phrases. Quand une équipe utilise un mot déjà entendu, on cherche à le remplacer par un autre. Ainsi, quand « ping-pong » ou « poney » revient, on sort des substituts possibles et on passe au vote pour déterminer ce que le groupe préfère. Tant pis pour mon plan de match; la proposition de Thierry et de ses jeunes me plaît trop. Surtout que ça colle parfaitement au projet. La classe se l’approprie pleinement, je ne peux demander mieux. L’heure du dîner arrive déjà, sur le bout des pieds. On doit se quitter. Je les laisse aller, à regret, et réitère mes félicitations à leur prof. Sa motivation à maximiser les retombées de mon passage pour ses protégé.e.s me touche. Je reprends le volant, moins entraîné par le moteur que par le ravissement.  

 

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Philippe Garon le 08.02.2024 en avant-midi
Deuxième atelier 

Ici, les lampadaires s’éteignent de une heure à six heures du matin. Côté économie d’énergie, je trouve ça brillant (pardon pour le jeu de mots facile). Me semble que nous, Québécois, champions du gaspille d’électricité, on pourrait s’inspirer de cette pratique-là. Je retrouve mes vingt chérubins de six à dix ans. Ravissement.

- Ça va bien?
- Oui!!!!!!!!!!
- Que je suis content de vous retrouver!
- Nous aussi!!!!!!!!!!!
- Tiens! Avez-vous remarqué?

Je regarde par la fenêtre en levant la tête.

- Regardez! Sous le coq, tout en haut du clocher, deux oiseaux. C’est beau. Je trouve ça beau.
- …
- Savez-vous comment chante le coq picard?
- …
- Chez nous, au Québec, les coqs font « Cocorico!!!!! » Faites « Cocorico » avec moi.
- Cocorico!!!!!!
- Mais ici, j’ai appris, grâce au folkloriste Henri Carnoy, que les coqs font « Coquiacou!!! Coquiacou!!! » Faites « Coquiacou!!! » avec moi.
- Coquiacou!!! Coquiacou!!!
- Bien!
- Alors maintenant, dites-moi, qu’est-ce qu’on a fait la première fois qu’on s’est rencontrés? Vous savez, je suis vieux. Décati. Je suis un ancêtre. Un pépère. J’ai déjà un pied dans la tombe. (En accompagnant mes superlatifs de mimiques grotesques.)

On rit. Les enfants me résument à merveille l’histoire de notre première activité. Ils et elles me parler aussi de leur activité avec Valentine, m’expliquent très bien les trois types de plans expérimentés avec ma collègue : plain-pied, américain et rapproché.

Fidèle à moi-même, leurs interventions me donnent trente-six occasions de m’adonner à mon péché mignon, et j’ai nommé, les digressions. Qui ne s’avèrent pas toujours intempestives, par chance.
- Je suis né en 1974. Donc, si on fait une soustraction, 2024 moins 1974 ça donne combien? Cinquante ans, bravo!

On définit le concept de synonyme aussi.
- Dans vos mots, expliquez-moi ce qu’est un synonyme.
- C’est un mot qui s’écrit pas pareil, mais qui veut dire la même chose.
- Formidable! Alors prenons un exemple pour illustrer ça. Donnez-moi des synonymes du mot voiture s’il-vous-plaît.
- Automobile!
- Excellent!
- Bagnole?
- Oui!
- Caisse?
- Parfait! Et chez nous, on a d’autres mots, comme char, bazou.

Le téléphone sonne. Thierry répond. L’instituteur, perplexe, bredouille une formule de politesse et raccroche.
- Tiens! C’est la première fois qu’on me la fait celle-là! Ça demandait monsieur Bécordel au bout du fil…

Belle démonstration que l’improbable se peut. Passée notre stupéfaction amusée, on continue en lisant ensemble mon compte-rendu que notre première rencontre. À tour de rôle, chacun lit une phrase. Je trouve que c’est un bel exercice. Ça montre aussi que malgré des différences entre le français québécois et celui utilisé ici, on arrive à se comprendre. Et que pour moi, les particularités observées dans les différentes parties de la francophonie enrichissent l’ensemble. C’est l’heure de la récré. Pendant qu’ils et elles se dégourdissent les pattes, Thierry et moi, on en profite pour faire le point. On a exploré plusieurs pistes jusqu’à maintenant. Mais ça devient un peu confus. Il faudrait clarifier où l’on s’en va avec tout ça. Ses protégés rentrent et je demande à quelques volontaires de venir devant la classe pour nous montrer leur dessin et l’expliquer. Grâce à Léandre je crois, un déclic se passe dans ma caboche. Il a dessiné des capybaras; belle exemple d’imagination, ce rongeur géant d’Amérique du Sud ne se trouvant sûrement pas facilement à nos latitudes. Épaté par cette belle trouvaille, Thierry invite les enfants à expliquer d’où vient cette idée. J’apprends que ça s’inscrit dans leur histoire commune. Et c’est là que j’allume sur le mot « lien », tout simplement. Avec sa belle écriture, Inès vient le tracer à la craie sur le tableau vert. Dans le peu de temps qu’il nous reste, je leur demande, d’ici ma prochaine visite, de préparer en équipes de deux ou trois des phrases conjuguées à la première personne du singulier et dans lesquelles elles et ils vont faire des liens. Pas facile! Avec Thierry, on illustre la consigne par une exemple. Je prends la craie et écrit, inspiré par le chandail du groupe ontarien Saga que porte mon vis-à-vis : « Nous aimons la musique rock des années soixante-dix. » Et leur prof d’embarquer avec brio dans ma fantaisie : « Nous en écoutons en pelletant du fumier à l’écurie. » Voilà. Ce sera pas facile, mais elles et ils sont capables. Maintenant, il faut s’en aller. On se quitte un peu en catastrophe; l’heure du déjeuner passe vite quand on doit prendre l’autobus pour manger à la maison ou à la cantine.

 

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Valentine Vermeil le 01.02.2024
Deuxième atelier

Thierry a reçu des photos comme demandé la semaine dernière, c’est formidable, nous allons passer à la vitesse supérieure. Je sens qu’ils trépignent à l’idée de faire, enfin, des photos ! Je vais pourtant commencer par faire une séance collective de lecture d’image, apprendre à regarder et décrire c’est primordial. J’ai une cocote en papier avec des questions dissimulées pour rendre l’exercice plus ludique ! Puis vient le temps de l’exercice des portraits à distance variable 1, 2, 3 et le format vertical. Le temps de comprendre comment marche les appareils, certains sont plus dégourdis que d’autres mais tout le monde s’amuse ! De retour en classe, chaque élève raconte les notes qu’il ou elle a prise avec Philippe, le lieu, les animaux, et les actions. Le temps de faire le tour de la classe, il nous reste 15 minutes pour mimer et immortaliser les actions décrites.

 

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Philippe Garon le 25.01.2024
Premier atelier

Cette nuit, le diable est resté tranquille. Je n’ai pas eu besoin de lui pour me payer une belle petite insomnie créative. Mais à l’heure des poules, il a aidé les éboueurs à ramasser les vidanges et le recyclage. Pas pire barda! J’ai réussi à me rendormir, mais à sept heures, un ding-ding-ding-dong me parvient du beffroi : debout son père ! Bon. Eul carillon d’la mairie aurait besoin d’amour. Y manque des notes à sa mélodie de Westminster. Mais j’aime que ces cloches au son un peu gourd ponctuent ma vie diurne ici. Il mouillasse aujourd’hui. Mais j’ai la tête dure. Je prends quand même le bicycle à Thierry pour aller le rejoindre dans sa classe avec ses petits. C’est juste à trois kilomètres d’ici. Je suis pas fait en chocolat.

 

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C’est pour me vanter, mais je qualifierais l’activité de triomphe. Faut dire que ces enfants-là sont allumés, calmes, charmants, attentifs, participatifs. Et bien compréhensifs à l’endroit du monsieur extraverti que je suis. À moins qu’elles et ils n’aient rien compris à cause de mon accent. Non… Je le sais qu’on s’est compris. Qu’on s’est même rencontrés. C’était grandiose. Arrivé comme un cheval sur la soupe, j’ai sauté dans le vif du sujet tout en me débougrinant. L’image du rocher Percé projetée par Thierry sur le tableau électronique m’a inspiré une fabuleuse chire géographico-politico-linguistico-historico-hystérique sur mon Québec natal. Ça commençait en lion. Oh le délire! Mais considérant les rires que ç’a générés, je pense que ç’a très bien marché. Après, je leur ai proposé un exercice de visualisation. Pour énoncer plein d’ingrédients en lien avec le lieu et l’activité que Valentine les avait aidé.e.s à trouver. Je pense qu’on peut dire qu’on a bien travaillé. Plusieurs ont noirci leur page de notes. En vue de l’étape suivante, que je leur ai dare-dare expliquée : dessiner la scène qu’elles et ils voyaient mentalement, mais sans se mettre dedans. J’ai bien hâte de découvrir ce que ça va donner… Je pense qu’on pourra s’amuser à les utiliser pour réaliser des chefs-d’œuvre de découpage et de collage…

Mon retour à pédales m’active bien la patate. Après un petit arrêt chez Ding Fring pour m’acheter les hardes qui me permettront d’aller à l’écurie sans empester mes beaux habits, je me lance dans la concoction d’une soupe au chou. Exceptionnellement, moi dont l’appétit reste obstinément collé sur l’horaire de la Gaspésie, nous la dégusterons à l’heure locale, car un spectacle nous attend : les Goguettes (en trio, mais à quatre). En chemin en marche à pied, à l’intersection de Gallieni et Jean-Guyon, un automobiliste rase de me lutter. Étrange… Même pas peur. Je crois avoir sous-contracté l’émotion à Valentine. Quelle fin absurde c’eut pu être! Écrapouti sur l’asphalte de la Picardie… Povre petit moi… Mais envers et contre tous, on réussit à aboutir au Zèbre. Mais c’est qu’ils sont sacrément talentueux ces parodistes de la chanson! Bon, avec toutes ces références à l’actualité politique franco-française, j’en comprends pas la moitié, mais quand même. On passe une méchante belle soirée. Sauf que c’est bien beau tout ça, mais moi, j’ai faim. Allez! À la maison. Mission : soupe au chou.

 

Valentine Vermeil le 22.01.2024
Premier atelier

 
3e groupe des CM1-CM2 à Bécordel-Bécourt. C’est une petite classe de campagne. Tous les élèves (sauf un), viennent de communes alentours : Bouzincourt, Fricourt, Mametz, Carnoy, Curlu, Montauban-de-Picardie, Combles, Ville-sur-Ancre, et Bray-sur-Somme. Qu’Ils sont mignons et disciplinés ! Je commence la séance en me présentant, j’enchaine sur la photo, le projet, les façons de raconter un territoire. Je les fais parler des lieux qu’ils aiment dans leur commune, de leurs activités extra-scolaires, de leur animaux domestiques, j’essaie d’en savoir un peu plus sur chacun. Pour la prochaine fois, je demande à ce qu’ils ramènent des images de leur environnement, l’idée de collage et découpages est une possibilité. Nous irons aussi nous promener dans le village. Tout est à faire, à imaginer, à créer !
 
 
ateliers 11

 


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